Dans ce projet artistique à mi-chemin entre la performance Fluxus et le traité de musique militaire, nous plongeons dans la relation complexe entre le son et nos attentes, en utilisant comme point de départ la transformation intrigante d'un saxophone en trompette. Notre objectif est d'explorer les diverses possibilités expressives de l'art, en fusionnant la narration musicale et visuelle pour créer un espace de réflexion et de dialogue sur les thèmes sociaux et politiques pertinents aujourd'hui.

Description du projet

Il est avéré que certains animaux, lorsqu'ils grandissent en compagnie d’autres espèces, ne se reconnaissent plus auprès de leurs congénères. Nous aimerions vous montrer ici qu’il en va de même pour certains instruments de musique. Lorsque le saxophone a été inventé, c'est bien auprès de fanfares militaires qu’il a grandi et non de la musique des grands compositeurs comme son inventeur aurait tant souhaité. George Brecht, le compositeur Fluxus, l’a bien plus tard résumé dans une performance intitulée ‘solo de saxophone’. Le saxophoniste, sur le point de jouer un solo, s'aperçoit que dans la boîte de son instrument se trouve en réalité une trompette. 

Ce type de confusion dans l’ordre du sonore nous arrive cependant bien plus souvent qu'on ne le croit. Ne vous est-il pas arrivé un jour de fermer une porte et, juste à ce moment-là, quelqu'un a laissé tomber quelque chose de très bruyant par terre ? Ou cette autre fois, n’avez-vous pas posé votre verre sur la table juste au moment où une alarme s’est mise à retentir ? Cette simultanéité entre deux sons a priori sans aucun rapport est peut-être en train de se produire en ce moment même. 

Pour faire cesser le feu est l’histoire d’une confusion. Celle-ci se passe non pas entre des personnes, des objets ou des idées mais entre deux sons. Des objets qui se confondent tout à fait, c'est impossible, des personnes, c’est une méprise et des idées c’est une tromperie mais pour les sons qu’en est-il ? Lorsqu’un bruit de porte qui se ferme se confond avec la chute d’un objet sur le sol il y a-t-il méprise, tromperie ou impossibilité ? Il y a, nous pensons, un sentiment d’inquiétude qui se mêle à de l’émerveillement face à des choses, des vibrations, dont les limites peuvent s'atténuer et donc peuvent changer leur identité de manière infinie.

Pour revenir à l'histoire du saxophone, et à cette possibilité de devenir autre il nous faudra tout d’abord la provoquer car dans les traités de musique militaire les partitions cherchent à exprimer un message clair loin de toute confusion. Nous verrons comment grâce à des ressources de lecture, de transposition, de jeu sur les dynamiques et sur le tempo il sera finalement possible de réconcilier cet instrument, à mi-chemin entres les cuivres et les bois, avec son identité sonore, c'est-à- dire avec sa capacité à devenir constamment autre et à se confondre avec d’autres sons.

Pour faire cesser le feu est un détournement de sonneries militaires jouées par un saxophone qui se prenait pour une trompette. 

Pitch
Nous avons tous des attentes concernant les sons qui parfois ne se réalisent pas.  Rappelez-vous cette fois où vous alliez fermer une porte et juste à ce moment-là quelqu’un a fait tomber par terre un objet extrêmement bruyant. Ou bien cette autre fois, où lorsque vous avez posé votre verre sur la table, le son d’une alarme s’est mis à retentir comme si vous-même l’aviez déclenché. 

S’agit-il uniquement d’une déception ? N’y a-t-il pas aussi une sensation de peur mêlé à de l’émerveillement en entendant comment les limites d’un objet disparaissent ? 
Voyons ce phénomène de plus près à travers l'histoire d'un saxophone qui se prenait pour une trompette.

Synopsis


Le récit commence avec une découverte du narrateur, un saxophoniste plongé dans la recherche de l'histoire précoce de l'instrument. Il tombe sur un livre sur la musique militaire dédié à l'inventeur du saxophone, qui comprend une série de partitions pour trompette conçues pour transmettre des ordres militaires.  Cette découverte éveille sa curiosité sur les liens entre le saxophone et la guerre.


Que disent ces partitions militaires? On trouve un ensemble assez vaste de sonneries qui permettent de transmettre les ordres pour le combat (marcher à droite, à gauche, s'arrêter…) mais qui aussi se réfèrent à des moments importants de la vie quotidienne (se réveiller, manger de la soupe, prendre soin des chevaux…). Parfois on trouve des signaux plus énigmatiques : ‘Silence’, ‘théorie’. 


En pensant aux possibilités d’utiliser ces ressources musicales pour communiquer au-delà du contexte militaire, le narrateur imagine, en lisant entre les portées comme d’autres entre les lignes, l’histoire fascinante de la rencontre entre deux musiciens militaires ayant fui leurs armées.

Les deux musiciens, dans un environnement simulé de guerre, partagent leurs expériences quotidiennes et les moments précédant leur désertion. À travers leurs récits, des thèmes tels que la camaraderie, l'épuisement et l'impact psychologique de la guerre sur la vie des soldats sont abordés.

Le projet est structuré en deux parties distinctes. Dans la première, nous assistons à l'interaction du saxophoniste avec une danseuse et une musicienne qui joue des sons électroniques, tandis que dans la seconde, les déserteurs partagent leur histoire à travers la musique et la performance en direct.


Récit des musiciens déserteurs : 

Alors que la bataille est sur le point de commencer, deux musiciens (musicien/nes) fuient leurs armées respectives et se cachent dans une forêt à la nuit tombée. Le matin, les musiciens, profondément épuisés par l'agitation de la veille, se réveillent très lentement, seulement pour découvrir avec surprise la présence de l'autre. En voyant les instruments de musique et réalisant que leur présence en ce lieu est motivée par la même intention, un lien de sympathie se développe entre les deux instrumentistes. Se croyant en sécurité, les instrumentistes sympathisent en se racontant des fragments de leur vie quotidienne dans l'armée. Chaque musicien relate un peu de sa journée : les corvées matinales, les réunions pour les repas, le soin des chevaux, les prières, les châtiments, les visites médicales... Les deux musiciens se présentent en tant que trompettistes mais au bout d’un moment l’un des deux avoue être en réalité un joueur de saxophone s'étant fait passer pour un trompettiste pour échapper à la fanfare et pouvoir jouer en solo. Après ce premier moment de rapprochement, vient un deuxième moment, plus sérieux, où les ‘trompettistes’ se racontent le dernier jour avant leur désertion. Tout d'abord, il est question d'une longue marche, tôt le matin, pour se rendre sur le lieu de la bataille. Ensuite, les ‘trompettistes’ racontent une longue attente pendant laquelle la tension monte et descend plusieurs fois jusqu'à ce que le dénouement tragique semble inévitable. Finalement, les deux ‘ trompettistes’ se séparent, pensant que leur fuite a peut-être empêché la bataille de continuer.


Le récit du narrateur s’interrompt avec le bruit de la mer.  Quand le narrateur revient à lui, il termine son histoire avec le récit des saxophones abandonnés à Veracruz par les troupes vaincues de Napoléon III, qui ont fini par tomber entre les mains de musiciens afro-américains à La Nouvelle-Orléans et se sont plus tard révélés dans la musique jazz. Cette conclusion symbolise l'évolution continue et l'adaptation de l'art à travers l'histoire.

La mise en scène et la sélection musicale ont été soigneusement conçues pour créer une expérience immersive qui invite le public à réfléchir sur la puissance du son, les répercussions de la guerre et le processus de transformation que connaissent tant les individus que les instruments de musique au fil du temps.

DRAMATURGIE

I Introduction


On entend un saxophoniste puis on le voit sur scène jouer des études pour saxophone (écrites par l'ami et compositeur d'Adolphe Sax, George Kastner).


Après avoir terminé une étude, il cesse de jouer, enlève son saxophone et le lance en l'air. La lumière s'éteint et aucun bruit de chute n'est entendu.

Quand les lumières reviennent, nous voyons une danseuse (Vanessa Mirza) réalisant des gestes, qui font écho à un musicienne qui joue des sons électroniques (Vanessa de Michelis). Les gestes et les sons ne correspondent pas (il y a beaucoup de silence, d'arrêts et de répétitions). Les deux artistes quittent la scène.

Le même saxophoniste revient, portant avec lui un étui de saxophone. Il le place sur une table. Une caméra le filme pour que nous puissions le voir de près. Quand il ouvre l'étui, il découvre une trompette à l'intérieur. Le saxophoniste s'en va en courant (pièce Fluxus de George Brecht).

II Les trompettistes déserteurs

Prélude

Dans une atmosphère rappelant une nuit étoilée, nous entendons des sons de guerre. Ceux-ci sont en réalité simulés par un trompettiste et un saxophoniste simulant des sons de trompette. Les deux musiciens sont assis sur scène, pratiquement sans éclairage. Certains de ces sons sont
produits en utilisant des techniques instrumentales étendues ou avancées, rappelant le travail des trompettistes Mazen Kerbaj et Axel Dörner.


1 Réveil

Extrêmement lentement, la luminosité sur scène augmente. La lumière est légèrement rouge. Les musiciens sur scène jouent des sonneries militaires annonçant le réveil. Les musiciens jouent à un tempo si lent que les sonneries sont méconnaissables. Le son rappelle certaines des Méditations Sonores de la compositrice américaine Pauline Oliveros.

2 Vie quotidienne

Avec un éclairage plus vif, nous pouvons maintenant voir les deux trompettistes face à face. Près des instrumentistes, un écran affiche les titres des tons joués, comme répertoriés par l'historien et compositeur George Kastner dans son Manuel général de musique militaire (1848). De cette manière, différentes façons d'exprimer des informations sur la vie quotidienne à différentes époques et dans différentes armées peuvent être comparées, par exemple :

- monter la tente
- soupe
- visite
- eau et avoine
- châtiment
- prière
- école
- visite chez le médecin
- éteindre les lumières
- interrogatif, affirmatif, négatif
- pain, argent, paille, bois
- théorie
La disposition de la scène ici pourrait évoquer le travail du chorégraphe Jérôme Bel dans Gala.
3 Promenade (vidéo)

On voit les deux ‘trompettistes’ marcher et jouer en même temps. Après un moment, nous réalisons que selon ce qu'ils jouent, ils marchent vers la droite, vers la gauche ou s'arrêtent. La configuration rappelle Quad de Beckett.

4 L'alarme

Les deux musiciens lisent un index basé sur le livre de Kastner, qui rend compte de l'arrivée imminente du combat.

Musicien 1 lit "Attention" ; Musicien 2 lit "page 594".
Musicien 1 lit "Alarme" ; Musicien 2 lit "pages 566, 589, 596, 598, 604, 605, 606".
Musicien 1 lit "À cheval " ; Musicien 2 lit “page 566”
Musicien 1 lit "Avertissement de charge " ; Musicien 2 lit “page 566”
Musicien 1 lit "premier appel de guerre" ; Musicien 2 lit “page 582”
Musicien 1 lit "deuxième appel sonné avant la bataille" ; Musicien 2 lit “page 582”
Musicien 1 lit "épée à la main" ; Musicien 2 lit “pages 583, 587, 595, 596, 602”
Musicien 1 lit "silence" ; Musicien 2 lit “page 584”
Musicien 1 lit "épée en gaine" ; Musicien 2 lit “pages 583, 587, 595, 596, 602”
Musicien 1 lit "silence" ; Musicien 2 lit “page 584”
Musicien 1 lit "la réunion" ; Musicien 2 lit “page 583”
Musicien 1 lit "sabre à la main" ; Musicien 2 lit “page 583”
Musicien 1 lit “attaque” Musicien 2 lit “               ”

5 Pour arrêter le feu

Les trompettistes jouent la partition "Pour faire cesser le feu"  ou “cesser le feu” dans différentes tonalités, de droite à gauche et de gauche à droite.

Cette relecture de la partition s’inspire de la pratique situationniste du détournement mais aussi du travail conceptuel sur la musique de l’artiste Martin Creed.
III Les saxophones de Veracruz

On entend les sons de la mer (bruit des vagues)
Des instructions apparaissent sur l'écran invitant le public à imaginer des sons. En particulier, on imagine des sons de jazz faisant écho au récit du saxophoniste et pédagogue Jean-Marie Londeix selon lequel les saxophones abandonnés à Veracruz par les troupes vaincues de Napoléon III, ont fini plus tard entre les mains de musiciens afro-américains de La Nouvelle-Orléans. (Londeix, Pour une histoire du Saxophone et des saxophonistes, 2017, page 118)

La pratique d’une ‘musique mentale’ s’inscrit ici dans la tradition de Yoko Ono et Pauline Oliveros.

EXTRAITS SONORES

Les extraits permettent d'entendre le jeu simulé de la trompette au saxophone dans une manière de jouer abstraite et en essayant de jouer une sonnerie militaire (“pour faire cesser le feu).
On peut aussi entendre une sonnerie militaire jouée de manière très lente de gauche à droite et de droite à gauche. Enfin, on peut entendre un court extrait d’harmonisation de cette même sonnerie.

Équipe (en cours)

Adela Bravo Metteuse en scène
Cherry Kwan Graphisme
Olga Ksendzovska Composition musicale
Shumeng Li Recherche et documentation
Vanessa de Michelis Musique électronique
Vanessa Mirza Danse et co-production
Johanna Sandels Recherche et documentation
Artur Vidal Instigateur du projet et saxophoniste

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